Cabinet : Judith BOUHANA
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Annulation de rupture conventionnelle pour detournement de procedure : accident du travail et contexte conflictuel
Emploi et vie professionnelle
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Créée par la loi du 25 juin 2008 la rupture conventionnelle, nouveau mode légal de rupture amiable du contrat de travail poursuit son ascension.
Plus d’un million de ruptures conventionnelles ont été signées depuis son instauration (source Libération.fr/economie/2012- 26 décembre 2012 - Le succès suspect de la rupture conventionnelle).
Négociée par les partenaires sociaux, cette rupture était initialement destinée à garantir au salarié un minimum de protection juridique et financière en cas de rupture de son contrat de travail en assurant notamment au salarié la perception de ses indemnités salariales et de son indemnité de licenciement ainsi que sa prise en charge par l’assurance chômage.
En pratique des contentieux se sont développés autour de la notion de détournement de procédure : l’utilisation de la rupture conventionnelle pour contourner la législation en matière d’inaptitude, d’accident du travail, absence de consentement libre et éclairé du salarié.
La présente décision (Conseil de prud’hommes de Paris 24 avril 2013) constitue une pierre supplémentaire à l’édifice que construisent pas à pas les juges prud’homaux.
L’intérêt de cette décision (non définitive) réside en ce que les juges du fond ont sanctionné deux formes de détournement de procédure : le détournement de la législation sur l’accident du travail et l’absence de consentement libre et éclairé.
Une salariée qui travaille au contact du public fait l’objet d’une agression physique sur son lieu de travail en décembre 2011, accident dont le caractère professionnel est reconnu en février 2012.
Entre-temps une procédure de rupture conventionnelle est signée en mars 2012 par l'employeur et la salariée alors que celle-ci est en arrêt de travail pour accident professionnel.
La jurisprudence considère depuis plusieurs années que la rupture conventionnelle ne peut être conclue avec un salarié accidenté du travail (CPH Sables d’Olonnes 25 mai 2010 RG 09/00068, jugement confirmé par la Cour d’Appel de Poitiers le 28 mars 2012 RG 10/02441).
Sont mis en avant par les juges du fond à la fois l'état de faiblesse du salarié fragilisé par son accident, mais également le principe de non-discrimination du salarié en raison de son état de santé (article L 1132-1 du code du travail) (notamment Cour d’Appel d’Aix-en-Provence 6 juillet 2012 RG 11/09476).
Dans la présente affaire, l'employeur invoquait le fait que la salariée avait pris l'initiative de la rupture conventionnelle, qu'elle était assistée par un délégué du personnel durant les deux entretiens préalables à la rupture, que la rupture conventionnelle avait été homologuée, qu'elle n'avait pas usé de son droit de rétractation et qu'à la date de prise d'effet de la convention la salariée n’était plus en accident du travail (effectivement durant le délai de rétractation la salariée n’était plus en arrêt de travail pour accident professionnel mais uniquement pour maladie).
Éléments écartés par le les juges du fond qui considèrent que dès lors que le salarié est en arrêt pour accident du travail au moment de la signature de la rupture conventionnelle, le consentement du salarié est nécessairement vicié par l'extrême vulnérabilité dans laquelle il se trouvait au moment de la finalisation de la rupture.
S'ajoutaient au débat à la fois le fait qu’en janvier 2012 soit deux mois avant l'engagement du processus de rupture conventionnelle, la salariée avait fait l'objet d'une mutation disciplinaire puis, lors d'une visite de pré reprise postérieure le même mois, d'un avis du médecin du travail préconisant le rapprochement du travail de la salariée de son domicile, « demande à laquelle l'employeur ne s'était pas conformé » selon l'appréciation des juges du fond.
Dans une décision adroitement motivée, les juges du fond ont alors considéré « que s'il est admis que la mise en oeuvre de cet accord n'a pas été imposée par l'une ou l'autre des parties il donne l'illusion d'une égalité dès lors que la rédaction a été entachée par l'extrême vulnérabilité dans laquelle se trouvait la salariée au moment du processus de finalisation duquel il convient d'en conclure que son consentement en était nécessairement vicié…
L'argument du défendeur selon lequel la Direction du travail a in fine homologué l'accord plonge le conseil dans un abîme de perplexité car il est utile de préciser que l'autorité administrative ne disposait d'aucune information concernant les modalités et circonstances entourant la formalisation de ladite convention la privant ainsi de tout contrôle…
Concomitamment il ressort de la chronologie du litige et des faits de l'espèce que le processus de discussion est intervenu, malgré les dénégations de l'employeur, dans un contexte conflictuel dès lors que (la salariée) s'était vu notifier (en janvier 2012) une mutation à titre disciplinaire…
Cette sanction n'a fait qu'accroître et corroborer le postulat suivant lequel les conditions entourant la formalisation de la rupture conventionnelle était empreinte de défiance... »
Les juges ont ainsi caractérisé un détournement de procédure et prononcé la nullité de la rupture conventionnelle produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
4 points sont particulièrement intéressants à relever :
- en premier lieu ce n'est pas parce que l'initiative de la rupture conventionnelle émane du salarié que celle-ci est nécessairement issue d'un consentement libre et non équivoque ;
-en second lieu ce n'est pas parce que la Direccte a homologué la rupture conventionnelle que celle-ci n'est pas susceptible d'être annulée dès lors que la Direccte n'a pas eu connaissance des circonstances entourant la signature de la convention (cette faille du processus est intéressante à relever en ce que sans doute nombre de contentieux pourraient être évités si l'administration était effectivement informée dans le formulaire de rupture conventionnelle qui lui est transmis de la situation du salarié « en arrêt de travail ou non » pourrait suffire à engager un échange productif entre la Direccte et l’employeur) ;
-en troisième lieu les juges confirment leur réticence à l'égard des ruptures conventionnelles signées en présence d'un contexte conflictuel ;
- et bien entendu avec un salarié en arrêt de travail consécutif à un accident professionnel que les juges considèrent comme « nécessairement fragilisé ».