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La cour de cassation juge qu'un salarié qui se plaint d'un harcèlement moral ne peut pas être attaqué pour diffamation

Publié par Guillaume COUSIN le 29/09/2016 - Dans le thème :

Emploi et vie professionnelle

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Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 28 septembre 2016, 15-21.823


C'est avec une certaine fierté que nous vous présentons l'arrêt rendu hier par la Cour de Cassation, dans un de nos dossiers.


La Cour de Cassation a jugé que n’est pas une diffamation le simple fait pour un salarié, de relater à son employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail (CHSCT et inspection du travail, en l'occurrence) les agissements de harcèlement moral dont il est victime par son supérieur hiérarchique.


Deux employées de cuisine de la société DUPONT RESTAURATION ont écrit à leur employeur une lettre racontant les insultes et humiliations dont elles étaient victimes de la part de leurs supérieurs hiérarchiques.


Elles terminaient leur courrier par ces mots : « Je n'ai d'autre recours que de vous alerter et je vous demande d'intervenir au plus vite afin de faire cesser cet acharnement quotidien et de me permettre d'effectuer mon travail sereinement et dans de bonnes conditions. Â»


Une copie en était adressé au CHSCT de l'entreprise, et une autre à l’inspection du travail.


Pour toute réponse, leur employeur leur faisait injonction de retirer leurs propos « avant que la situation ne s'envenime Â» !


Puis la société DUPONT RESTAURATION, ainsi que les deux supérieurs hiérarchiques, attaquaient les deux salariées (alors en arrêt de travail pour dépression) pour diffamation devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS, pour réclamer 10.000 euros de dommages et intérêts à chacune.


Le Tribunal a jugé que cette lettre était diffamatoire au sens de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 (sur la liberté de la presse). Il a condamné notre cliente et sa collègue à payer 300 euros à chacun de leurs supérieurs hiérarchiques.


Nous avons fait appel.


La Cour d'Appel de PARIS a légèrement aggravé la condamnation.


Heureusement, par arrêt du 28 septembre 2016, la Cour de Cassation, souligne que les exigences du droit de la presse et de la diffamation, notamment en matière de preuve, ne doivent pas faire obstacle à l’effectivité du droit de dénoncer, auprès de son employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail, les agissements répétés de harcèlement moral dont il estime être victime.


La Cour de Cassation, chambre civile, aligne ensuite sa jurisprudence sur celle de la chambre sociale, indiquant que désormais, dans ce cas, le salarié ne peut être poursuivi qu’en cas de particulière mauvaise foi, c’est à dire s'il avait connaissance, au moment de la dénonciation, de la fausseté des faits allégués.


Elle ajoute que le salarié de mauvaise foi sera pénalement sanctionnable uniquement sur le terrain de la dénonciation calomnieuse, et non de la diffamation.


La différence est de taille, car en matière de dénonciation calomnieuse, comme de droit du travail, c’est à l'employeur de démontrer la mauvaise foi du salarié.


Alors qu'en matière de diffamation, c'est la personne poursuivie qui doit apporter des preuves, ou démontrer sa bonne foi (le seul fait de croire sincèrement ce que l'on a dit n'étant pas une preuve de bonne foi suffisante...).


Le simple exercice d'un droit encadré par la loi ne peut être constitutif d'une infraction pénale. Or l'article L1152-1 du Code du Travail est très clair :


« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel Â».


L'intention de l'employeur était vraisemblablement de contourner ce texte en se plaçant sur le terrain de droit de la presse et de la diffamation, supposé plus propice à une sanction déguisée.


L'objectif de la loi de 2002 était de permettre à un salarié témoin ou victime de harcèlement d'alerter son employeur, sans avoir obligatoirement à constituer au préalable un dossier de preuves irréfutables.


C'est pour que l'alerte puisse être donnée, qu'en cette matière, la liberté d'expression du salarié a été spécialement encouragée, encadrée, et protégée.


Si l'on avait suivi le raisonnement des juges de première instance et d'appel, et de l’employeur, l'effet des dispositions protectrices visées ci-dessus aurait été mis à néant, puisqu'un salarié aurait pu, pour les mêmes propos, à la fois bénéficier d'une immunité en droit du travail et être pénalement répréhensible.


Si la loi de 1881 leur avait été applicable, comment, sans risquer d'être pénalement poursuivies, des victimes de harcèlement moral auraient-elles pu dénoncer ces faits à leur employeur :


  • s'il leur était interdit de relater des faits dont elles n'ont pas la preuve ;
  • s'il leur était interdit de désigner leurs agresseurs, sous peine d'attenter à leur honneur ?



La Cour de Cassation a voulu donner un retentissement important cette décision, en ordonnant sa publication au bulletin de ses arrêts, à son rapport annuel et sur son site internet.


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