Salaries, sachez contester la discrimination dont vous etes victimes en 2017
Emploi et vie professionnelle
| Lu 5008 fois | 1 réactionL’article 1132-1 du Code du travail liste les principales discriminations prohibées en droit du travail tels que l’activité syndicale (1), l’âge (2), la santé (3) et l’orientation sexuelle (4), dont il va être ici question.
Ainsi, en dépit du barème obligatoire, tout ce qui relève d’une sanction discriminatoire fait l’objet d’une indemnisation spécifique, le licenciement prononcé est nul, le salarié peut solliciter sa réintégration, l’indemnité pour licenciement nul est fixée au minimum à 6 mois de salaire (article L.1235-3-1 du Code du travail), toute décision reposant sur une discrimination illicite étant nulle de plein droit (article L.1132-4 du Code du travail).
Prouver une discrimination au travail est difficile, à l’épreuve de la longueur et du coût de la procédure judiciaire s’ajoute celle de rassembler les pièces probantes que le salarié doit présenter. C’est la raison pour laquelle les arrêts de la Chambre sociale de la Cour de cassation reconnaissant les situations de discrimination sont suffisamment rares pour être relevés.
1. La preuve de la discrimination syndicale encadrée par les juges
Par ses fonctions syndicales, le salarié est particulièrement exposé à être victime de sanctions discriminatoires prohibées par l’entreprise dans lequel il exerce son activité syndicale.
En 2017, la jurisprudence protège le salarié syndical discriminé en encadrant les règles de preuve de la discrimination syndicale et en sanctionnant les juges du fond qui s’en écartent.
La preuve de la discrimination se déroule en 3 étapes :
- D’une part le salarié doit présenter des éléments de fait constituant une discrimination directe ou indirecte ;
- D’autre part, le juge doit apprécier si les éléments présentés pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination ;
- Auquel cas, l’employeur doit prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Comme en matière de harcèlement moral, la Cour de cassation sanctionne une méthodologie parfois erronée de la cour d’appel lorsqu’elle rejette à tort les demandes de discrimination syndicale.
- Premier arrêt (Cassation chambre sociale arrêts du 4 mai 2017 n°15-19375 et 15-50051). :
Alors que les juges du fonds avaient rejeté la discrimination syndicale invoquée par le salarié « après avoir examiné successivement les éléments invoqués (par le salarié) » et avoir procédé « a la confrontation de ces éléments », la Cour de cassation rappelle :
« Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si les éléments invoqués par le salarié relatifs aux refus de l’employeur de faire droit aux demandes du salarié de passer à temps complet…, aux trois retenues sur salaire en 2005…, à la stagnation salariale de l’intéressé relative à la valorisation de la performance, à l’absence d’entretiens d’évaluation..., à la mutation… contraire à un usage et à sa conséquence sur la prime de perception, qui laissaient supposer l’existence d’une discrimination syndicale, étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d’appel a privé sa décision de base légale… ».
- Deuxième arrêt (Cassation chambre sociale arrêt du 4 mai 2017 n°15-27240). :
Un salarié embauché par la société X et mis à la disposition de la société Y se présente aux élections professionnelles de la société Y. 8 mois plus tard sa nouvelle mission prend fin au bout de 2 jours sur décision de la société Y qui accueille par la suite sur cette même mission un autre salarié mis à disposition par la société X.
Le salarié invoque la discrimination syndicale de la société X et les juges du fond le déboutent en constatant : « Qu’est révélée la supposition d’une discrimination tenant à son engagement syndical, mais de la part de la seule société Y et non (de la société) X, qui ne pouvait imposer la mise à la disposition (du salarié à la société Y) ».
Mais la Cour de cassation n’est pas dupe et casse l’arrêt d’appel en jugeant : « Vu les articles L.1132-1, L.1134-1 et L.2141-5 du Code du travail,...
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que l’engagement syndical de Monsieur Z a eu une incidence sur le choix par la société X…des salariés qu’elles mettaient à disposition de la société Y, ce dont il résultait que (la société X) avait pris en compte son activité syndicale pour arrêter (ses) décisions en matière de conduite et de répartition du travail, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
- Troisième arrêt (Cassation chambre sociale arrêt du 28 septembre 2017 n°16-10236) :
Le salarié sollicitait en référé une réintégration sous astreinte pour discrimination après avoir été licencié pour faute grave. La cour d’appel rejette ses demandes en constatant notamment que :
« Le Procureur de la République saisi (d’un procès-verbal de l’Inspection du travail relevant l’infraction de discrimination syndicale) a procédé au classement sans suite de ce dossier au motif que les faits relatés relevaient plus du contentieux prud’homal que du contentieux pénal, qu’en outre, le salarié a été licencié plus d’un an après le transfert de son contrat de travail, alors qu’il ne disposait plus du statut de salarié protégé et qu’il avait cessé toute activité syndicale depuis son transfert... ».
Les juges en concluaient que le salarié ne rapportait pas la preuve de l’existence du trouble manifestement illicite qu’il invoque, et contradictoirement que « le salarié verse au débat le procès-verbal… par lequel l’Inspecteur du travail a relevé à l’encontre de l’employeur l’infraction de discrimination syndicale au motif qu’il n’a pas attribué de poste de travail au salarié pendant 5 mois, qu’il l’a affecté ensuite sur des missions temporaires ne correspondant pas à son contrat de travail et qu’il l’a licencié pour refus de prise d’un poste de Conseiller en patrimoine…alors que le salarié se trouvait en arrêt maladie et qu’il avait formalisé son acceptation par écrit… »
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en jugeant « que le juge des référés auquel il appartient, même en présence d’une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue le licenciement d’un salarié en raison de ses activités syndicales, doit apprécier si les éléments qui lui sont soumis laissent supposer l’existence d’une discrimination et, dans l’affirmative, rechercher si l’employeur apporte des éléments objectifs de nature à justifier que ses décisions sont étrangères à toute discrimination ».
- Quatrième arrêt (Cassation chambre sociale arrêt du 20 septembre 2017 n°16-13925) :
La Cour de cassation sanctionne également la méthodologie erronée de la cour d’appel qui constate contradictoirement : la privation d’un entretien d’évaluation professionnelle, un transfert de poste refusé par le salarié mais conclue néanmoins que le salarié « serait défaillant dans la preuve d’éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale ».
La Cour de cassation relevant cette contradiction juge : « Qu’en statuant ainsi, en faisant peser sur le salarié la charge de la preuve de la discrimination syndicale, alors qu’il avait présenté des éléments de fait laissant présumer l’existence d’une telle discrimination, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
- Cinquième arrêt (Cassation chambre sociale arrêt 20 septembre 2016 n°16-14424) :
Les juges du fond avait écarté la discrimination syndicale au constat de graves difficultés économiques de l’employeur d’une stagnation de salaire qui s’expliquerait selon la Cour par « la position en inter contrat du salarié, l’absence tardive d’évolution de sa classification ne suffisant pas à caractériser une discrimination ».
Raisonnement critiqué par la Cour de cassation qui constate au contraire que le salarié présentait des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale :
« Le salarié n’avait pas connu d’évolution salariale de 1991 à 2004, l’employeur l’avait placé en inter contrat compte tenu de sa faible présence dans l’entreprise et le coefficient 150 lui avait été accordé avec retard en août 2011 ».
2. La protection du salarié sénior : la discrimination par l’âge
- Première espèce (Cassation chambre sociale arrêt du 20 septembre 2017 n°16-16750 et 16-16755) :
Deux commandants de bord sur Airbus ne sont pas retenus pour effectuer des stages de qualification au profit de salariés disposant d’une ancienneté inférieure. Ils saisissent les tribunaux pour manquement de l’employeur aux obligations d’évolution de carrière et discrimination en raison de l’âge.
Sur pourvoi de l’employeur, la Cour de cassation constate que :
« La cour d’appel, qui a relevé que les salariés, auxquels l’employeur opposait explicitement leur âge pour leur appliquer une date butoir à 60 ans pour le décompte des saisons potentiellement exigées et leur refuser le bénéfice d’un stage de qualification devant leur assurer une promotion, présentaient des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination, et constaté que le refus opposé par l’employeur n’était pas justifié par un but légitime lié au bon fonctionnement de la navigation aérienne, et notamment que l’argument de l’employeur relatif à l’absence de garantie de prolongation d’activité par le salarié au-delà de l’âge de 60 ans était inopérant, l’incertitude quant au moment du départ en retraite n’étant pas de nature à faire disparaître le caractère illicite de la mesure fondée sur l’âge, a pu en déduire que le refus d’accès au stage en raison de leur âge opposé aux salariés par l’employeur constituait une discrimination ne reposant sur aucun motif légitime ».
- Deuxième espèce (Cassation chambre sociale arrêts 31 mai 2017 n°15-29512 et n°15-15829 et 15-29513) :
Plusieurs salariés reprochent au Crédit Lyonnais leur employeur de ne pas leur avoir versé la gratification liée à l’obtention de la médaille du travail échelon Vermeil correspondant à une ancienneté de 30 ans, évoquant une discrimination et une inégalité de traitement fondées sur l’âge.
Le Crédit Lyonnais se fondait sur l’application d’un accord collectif disposant de nouvelles règles ne permettant aux salaires d’obtenir cette gratification qu’en 2013.
La Cour de cassation approuve l’arrêt d’appel ayant fait droit à la demande des salariés au motif :
« Qu’ayant constaté que (les salariés) étaient éligibles à la gratification prévue pour l’obtention de la médaille d’honneur du travail échelon vermeil, pour trente années d’activité, avant l’entrée en vigueur le 1er mai 2011 des dispositions de l’accord du 24 janvier 2011, mais ne pouvaient en demander le paiement qu’en 2013, ce que les nouvelles règles prévoyant de nouvelles modalités d’attribution des gratifications ne leur permettaient pas et que ces règles affectaient plus particulièrement les carrières les plus longues et donc les personnes les plus âgées, ce dont il résulte une discrimination liée à l’âge, la cour d’appel, qui a relevé que la société n’apportait aucun élément de nature à établir que la différence de traitement fondée sur l’âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un but légitime, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ».
3. La discrimination liée à l’état de santé : (Cassation sociale arrêt 22 juin 2017 n°16-11595).
Le médecin du travail est un des rempart de protection du salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle qui fait l’objet d’une protection renforcée de la loi sous la surveillance des juges.
La décision rendue par la Cour de cassation rappelle le rôle essentiel du médecin du travail dont les préconisations doivent impérativement être respectées par l’employeur sous peine, de nullité du licenciement discriminatoire du salarié fondé sur son état de santé :
Un agent d’escale victime d’un accident du travail est déclaré apte par le médecin du travail sous réserve des préconisation suivantes : « limiter le temps de transport : changement de poste pour l’agence de Paris ; pas de port de charge de plus de 5 kg ».
L’employeur ayant exigé une reprise de poste du salarié à l’aéroport de Roissy, refusée par le salarié, l’employeur le licencie pour abandon de poste.
L’arrêt d’appel ordonne sous astreinte sa réintégration dans l’entreprise « à un poste conforme aux préconisations du Médecin du travail » et la Cour de cassation confirme cette décision en jugeant :
« Qu’ayant exactement rappelé que l’avis du médecin du travail sur l’aptitude d’un salarié à occuper un poste de travail s’impose aux parties, en particulier à l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, et constaté que la salariée avait été licenciée pour avoir refusé de rejoindre son poste à Roissy, incompatible avec les restrictions émises par le médecin du travail, la cour d’appel a pu en déduire que l’intéressée avait fait l’objet d’une discrimination en raison de son état de santé… »
4. La discrimination en raison de l’orientation sexuelle : (Cassation sociale arrêt 5 juillet 2017 n°15-21924).
Très rares sont les décisions en la matière, soulignons donc cette dernière jurisprudence condamnant la discrimination faite à un employé du Crédit Agricole dont la demande de prime accordée au personnel en cas de mariage par la convention collective avait été rejetée par l’employeur au motif qu’il ne serait pas marié mais titulaire d’un pacte civil de solidarité avec un partenaire du même sexe.
La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir constaté que le salarié n’avait pas bénéficié « des congés spéciaux, primes et indemnités prévus… de la convention collective en cas de mariage, (la cour d’appel) ayant retenu à bon droit que les dispositions litigieuses instauraient une discrimination en raison de l’orientation sexuelle, en a déduit que le Crédit Agricole devait accorder au salarié les avantages applicables aux salariés ayant contracté mariage ».
Rares mais importantes les décisions rendues en matière de discrimination confirment la vigilance et la clairvoyance des juges en la matière.