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"se substituer" n'est pas "se dédouanner" : sur l'étendue de l'article l.642-9 alinéa 3 du code de commerce

Publié par Michaël NEUMAN le 22/06/2012 - Dans le thème :

Entreprise et association

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Lors du rachat d'une entreprise en difficulté à la barre, de nombreux groupes montrent leurs plus beaux apparats pour emporter la décision du Tribunal de Commerce sur leur candidature : solidité financière, expérience sereine, perspectives faramineuses dans un cadre structuré....

Mais voilà : derrière les plumes du paon se cache parfois le vide intersidéral.

Et ces groupes, à la robustesse d'apparence, n'oublient jamais de faire figurer, dans leur offre de rachat, une clause de substitution, qui leur permet de faire reprendre l'entreprise mauribonde par une filiale, créée ad hoc, pour l'occasion.

Lorsque la filiale, toute jeune arrivée, ne tient pas la route, les créanciers tentent, parfois, de rappeler à la société-mère ses engagements d'origine...

Et la société-mère d'opposer le fait qu'elle n'a jamais envisagé de prendre elle-même la responsabilité de faire renaître le phenix de ses cendres et qu'il est donc hors de question que l'on essaie de souffler sur les braises en lui soutirant les euros que sa fililale, qui n'a pas réussi à redresser la situation, serait seule à devoir.

La question de l'étendue de la responsabilité de la société-mère s'est posée devant les tribunaux.

D'une irresponsabilité peu en adéquation avec une réflexion économique à long terme, la tendance est à l'octroi d'une garantie effective des engagements repris par la structure substituée.


La jurisprudence antérieure à la loi du 26 juillet 2005

L'arrêt de principe est celui de la chambre commerciale de la cour de cassation, en date du 7 janvier 2003, dont l'attendu qui a longtemps résonné dans le prétoir est le suivant :

« Si l'offre de cession assortie d'une faculté de substitution ne décharge pas son auteur de l'obligation d'exécuter le plan, cette garantie ne s'étend pas à l'exécution des engagements résultant des contrats cédés par le plan ».

En résumé, la seule garantie donnée par l'acquéreur temporairement en première ligne est de payer le prix de cession.

Si la filiale exécute mal les contrats cédés, eh bien, tant pis pour le créancier qui, non seulement n'aura pu récupérer qu'une modique somme sur le prix de vente pour apurer les dettes passées, mais de surcroît, aura dû parfois supporter les affres d'un nouveau débiteur, pas plus respectueux que le précédent, et pourtant avalisé par un Tribunal de Commerce pas peu fier de lui...

Economiquement, une telle décision pousse les groupes les plus argentés à jouer aux apprentis-chimistes lors de leur reprise :

- soit cela passe et ils auront récupéré des actifs à bas prix,

- soit cela ne passe pas et ce sera la filiale qui trinquera, la société-mère se lavant les mains de cet échec auquel elle ne saurait être mêlée.


Que dit la loi du 26 juillet 2005 ?

La loi du 26 juillet 2005 sur les procédures collectives est venue subrepticement changer la donne, bien que le sujet ne semble pas avoir été abordé de front lors des échanges parlementaires.

Un article L.624-9 s'est glissé dans le code de commerce. Il dispose, dans son alinéa 3 :

« Toute substitution de cessionnaire doit être autorisée par le tribunal dans le jugement arrêtant le plan de cession, sans préjudice de la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 642-6. L'auteur de l'offre retenue par le tribunal reste garant solidairement de l'exécution des engagements qu'il a souscrits. »

La mention "l'exécution des engagements" renvoie directement au libellé de l'arrêt de 2003 : le candidat acquéreur devient un garant solidaire non pas d'un simple engagement de payer le prix, mais bien de l'exécution des engagements souscrits, parmi lesquels figure en général la reprise de différents contrats, qu'il faudra donc bien respecter.

Divers articles de doctrine ont évoqué cet article, parfois pour souligner le revirement du législateur, d'autres fois pour minimiser cette réécriture.

Mais force est de constater que l'indication claire dans la loi de l'existence d'une telle garantie du substituant est nouvelle et l'utilisation du phrasé même de la cour de cassation est éloquent sur le souhait sous-jacent de responsabiliser les acquéreurs qui ne sauraient s'engager à la légère dans les reprises et tromper la foi du Tribunal de Commerce pour faire supporter aux créanciers le risque de deux faillites successives de leur cocontractant.


La jurisprudence postérieure au 26 juillet 2005

Disons le tout-de-go, la Cour de Cassation ne s'est pas encore prononcée sur le nouvel article L.624-9, alinéa 3 du Code de Commerce.

Un arrêt de la Cour d'Appel de PARIS du 2 juillet 2010, qui avait utilisé ce moyen pour rattraper une société-mère fuyante, a pu être cassé le 27 septembre 2011, mais la Haute Cour a précisé que la législation applicable était celle antérieure au 26 juillet 2005, de sorte que son ancienne jurisprudence ne dépareillait pas.

Un auteur a pu en conclure que la Cour de Cassation faisait un "effet d'annonce" et qu'elle allait réitérer sa jurisprudence de 2003 malgré les changements textuels de 2005.

Rien n'est moins sûr et les juridictions de fond n'ont en tout cas pas renoncé à voir appliquer la garantie légale dans toute sa largeur, en attestent notamment des décisions récentes rendues par le Tribunal de Commerce de PARIS (31 janvier 2012), le Tribunal de Grande Instance de PAU (9 février 2011) ou encore la Cour d'Appel de PAU (20 septembre 2011).

La garantie peut alors vite devenir un gouffre, comme le cas de cette société-mère condamnée à payer plus de deux ans et demi de loyers que la cessionnaire substituée n'avait jamais pu assumer... En même temps, le candidat acquéreur n'aurait-il pas dû renflouer sa filiale pour qu'elle "tienne" la reprise, assumant ainsi véritablement l'image du sauveur solvable qu'elle affichait devant le tribunal qui a retenu son offre ?


CONCLUSION : a fair "affaire" ?

Reconnaître la garantie du candidat acquéreur dans sa plus large acception permettrait un assainissement des reprises "à la pêche" et éviterait que des entreprises ne revivent que le temps d'un soubresaut, lorsque la situation, définitivement compromise, a pour origine des maux plus profonds que le seul passif déclaré et la prétendue incompétence de ses ex-dirigeants.

A ce stade, l'analyse réalisée en amont par l'administrateur judiciaire ou, le cas échéant, le mandataire judiciaire est cruciale. Le manque de temps de ces intervenants, qui apparaissent souvent trop tard dans les dossiers, est le stigmate patent d'une politique de prise en charge tardive des difficultés des entreprises, que la loi sur la sauvegarde des entreprises n'a pas complètement comblée.


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