Harcélement moral au travail: salariés, entreprises, comment défendre vos droits?
Par Me Fabien RAJON, Avocat, HEC Paris
La lutte contre le harcèlement moral constitue aujourd’hui une préoccupation majeure des entreprises, des pouvoirs publics et des syndicats. Toutefois, son apparition dans le droit français est récente.
La première réelle référence explicite au harcèlement moral au travail par le droit intervient en 2000 devant la Cour d'Appel de NANCY. La haute juridiction précise à l’époque « qu’est dépourvue de cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié suite à la succession tout aussi brutal qu’intense de sanction et de procédure disciplinaire démontrant qu’il a été victime d’un véritable harcèlement de la part de son employeur ».
L’Union Européenne édicta ensuite une directive du 27 novembre 2000 relative à la prohibition des discriminations et le législateur français définit et réprima le harcèlement moral par la Loi de Modernisation Sociale du 17 janvier 2002.
Qu’est ce que le harcèlement moral ?
Il existe deux définitions du harcèlement moral.
D’une part une définition propre au droit du travail et d’autre part une définition de droit pénal. L’article L 1152-1 du Code du Travail dispose « qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » L’article L 222-33-2 du Code Pénal punit quant à lui « le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende. »
Qui peut être le harceleur ?
Le harceleur est nécessairement une personne physique. Toutefois, tout salarié peut être auteur de harcèlement et aucun lien d’autorité n’est exigé entre l’auteur et la victime. Le harcèlement peut donc être descendant, ascendant ou collatéral. En d’autres termes, un salarié peut tout à fait harceler son supérieur hiérarchique. En outre, toute personne extérieure à l’entreprise peut également être auteur de harcèlement, qu’il s’agisse d’une personne titulaire d’un contrat de travail temporaire, d’un client ou d’un intervenant extérieur.
Quand intervient la protection légale des salariés?
La protection édictée par le législateur intervient à chaque étape de la vie professionnelle du salarié, que ce soit lors de sa phase d’embauche ou de renouvellement de contrat mais également lors de l’exercice du pouvoir de direction de l’employeur, notamment du pouvoir disciplinaire et enfin lors de la rupture du contrat de travail. Le harcèlement est également visé dans les aspects de la relation de travail (rémunération, formation, promotion, mutation…etc).
S’agissant des personnes protégées contre le harcèlement, le droit du travail est plus restrictif que le droit pénal. En effet, en droit du travail, seul le salarié est protégé alors qu’en droit pénal toute personne bénéficie de la protection légale. En outre, celui qui a témoigné en faveur de la victime ou relaté des faits bénéficie de la même protection de la victime.
Quels faits sont visés ?
Il doit s’agir tout d’abord d’agissements répétés que ce soit des actes physiques, des paroles, des correspondances voire même une omission d’agir. Attention, un seul acte même gravement répréhensible n’est pas constitutif de harcèlement. Toutefois, un acte grave isolé peut toujours être sanctionné par l’employeur au titre de son pouvoir disciplinaire et par la justice si les faits sont pénalement répréhensibles (injure, violence, etc.).
En outre, ces agissements doivent avoir des conséquences. En effet, les agissements doivent avoir pour objet ou pour fait la dégradation des conditions de travail. L’intention de nuire de l’auteur est en principe indifférente et le harcèlement peut donc exister indépendamment de la volonté de l’auteur de procéder à un tel harcèlement. Enfin, ces agissements répétés doivent être susceptibles de porter atteinte au droit à la dignité des salariés ou d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Toutefois, il n’est pas nécessaire que la dégradation des conditions de travail ait eu des conséquences avérées.
Comment les juges caractérisent le harcèlement moral ?
Les juges apprécient les situations au cas par cas en tenant compte du contexte dans lequel les agissements sont intervenus de la situation personnelle de la victime.
Ainsi,la Cour d'Appel de Poitiers a jugé qu’il y avait harcèlement dans le cas d’un commercial qui avait été mis à l’écart, n’ayant plus accès à la formation de nouveaux contrats, n’étant plus convié aux réunions commerciales et ne figurant plus sur les tableaux des commerciaux.
Le harcèlement peut également consister en des dégradations des conditions de travail (affecter un salarié dans un local exigüe, sans outil de travail ou l’isoler de ses collègues en leur demandant de ne plus lui parler).
D’une manière générale, toute accumulation de faits caractérisant le comportement hostile ou déstabilisant (surveiller de façon excessive un salarié, mettre en cause de façon incessante son rôle, mise à l’écart délibéré peut constituer un fait de harcèlement.)
Des faits d’insulte et d’agression peuvent également caractériser un harcèlement.
Toutefois, il est rappelé que la seule perception subjective du harcèlement ne saurait suffire à caractériser le harcèlement moral et toute situation conflictuelle ne s’analyse pas en harcèlement moral. Ainsi, la Cour d'Appel de PARIS a pu juger qu’une situation stressante en lien avec des difficultés relationnelles ne doit pas être confondue avec des faits de harcèlement (Cour d'Appel de PARIS, 23 février 2006).Enfin, un choc psychologique au travail n’est pas nécessairement constitutif d’un harcèlement et d’un accident du travail.
D’une manière générale, l’exercice normal des pouvoirs de l’employeur ne saurait être constitutif de harcèlement moral, s’ils sont exercés de manière justifiée dans l’intérêt de l’entreprise et sans abus.
Que peut faire la victime de harcèlement moral au travail?
En premier lieu, la victime peut signaler les faits à l’inspection du travail ou déposer une plainte en gendarmerie ou devant les services de police.
La victime de harcèlement peut également envisager de rompre son contrat de travail au tort exclusif de son employeur s’il est responsable des faits de harcèlement ou s’il n’a pas agit pour les prévenir. Dans ce cas, le salarié pourra saisir le Conseil de Prud’hommes afin d’obtenir réparation du préjudice et octroi d’indemnités équivalentes à celles dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cadre de la procédure prud’homale, la victime de harcèlement moral bénéficiera d’un régime de preuve favorable.
Comment peut se défendre l’entreprise ?
La tache est délicate. L’employeur accusé de faits de harcèlement moral devra pouvoir être en mesure de contester la position de la partie demanderesse. Des attestations de collaborateurs de l’entreprise caractérisant la bonne ambiance de travail seront les bienvenues tout comme la démonstration des efforts de prévention en matière de harcèlement sur le lieu de travail.
Contact Cabinet: fabien.rajon@avocat-conseil.fr