La tontine joue même si l'un des coacquéreurs a tué l'autre !

Publié par Caroline YADAN PESAH le 01/02/2013 - Dans le thème :

Immobilier et logement

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Dans les rapports entre coacquéreurs en tontine, il n'existe ni débiteur ni créancier d'obligation. Le tontinier tué par son coacquéreur ne peut donc être réputé avoir survécu par application de l'article 1178 du Code civil sanctionnant le comportement du débiteur obligé sous condition.

Un homme et une femme achètent une maison avec clause d'accroissement, dite « de tontine ». Cette clause confère à chacun des acquéreurs la propriété du bien tout entier à partir du jour de l'acquisition, sous la condition suspensive de sa survie et sous condition résolutoire de son prédécès. Le couple finit par se marier mais après quelques années, l'épouse demande le divorce. C'est alors que survient le drame : le mari tue sa femme avant de se suicider trois jours plus tard. La maison vendue, la fille de la défunte réclame en justice aux enfants de son beau-père le paiement du prix de la vente. Elle invoque l'article 1178 du Code civil selon lequel la condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur obligé sous cette condition qui en a empêché l'accomplissement. Selon elle, la condition de survie de sa mère résultant de la clause d'accroissement doit être considérée comme remplie puisque son décès est le fait exclusif de son beau-père. L'intéressée demande aux juges de reconnaître que la maison dépendait ainsi de la succession de sa mère. A titre subsidiaire, elle réclame les deux tiers du prix de vente en réparation de la perte de chance d'hériter de la maison. Son évaluation se base sur les espérances de vie qu'avaient l'épouse (née en 1944) et son mari (né en 1935).

La cour d'appel juge l'article 1178 du Code civil inapplicable : dans les rapports entre les coacquéreurs en tontine, il n'existe ni débiteur ni créancier d'obligation. Par le jeu de la clause d'accroissement, c'est donc le beau-père qui était devenu rétroactivement seul propriétaire de la maison. La perte de chance est en revanche reconnue, mais à hauteur de 50 % seulement, la fille ayant ainsi droit à la moitié du prix de vente.

La Cour de cassation confirme.

Remarques

L'argumentation fondée sur l'article 1178 du Code civil pouvait se réclamer d'un jugement du tribunal de grande instance de Carpentras rendu dans une affaire similaire (TGI Carpentras 28-9-1999, Cts Viau c/ Milesi : RTD civ. 2001 p. 143 obs. J. Mestre et B. Fages). Alors qu'un tontinier avait été reconnu coupable du meurtre de son coacquéreur, le tribunal décidait d'attribuer la propriété de l'immeuble à la victime prédécédée et non à son meurtrier survivant, la condition de survie de la victime devant être considérée comme accomplie ! L'article 1178 s'avérait ainsi un « bon instrument de justice contractuelle, au détriment toutefois […] d'un strict respect de la technique juridique » (J. Mestre et B. Fages, obs. précitées). L'on pourra donc se réjouir que la piste de la responsabilité civile, alors suggérée, ait été ici retenue via la reconnaissance d'une perte de chance.

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