N'est pas edf qui veut...

Publié par Michaël NEUMAN le 27/06/2012 - Dans le thème :

Immobilier et logement

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La note ci-dessous est reproduite avec l'aimable autorisation de son auteur, Me Christophe LEGUEVAQUES, avocat au barreau de Paris, docteur en droit

C'est une première !

Le 19 juin 2012, la Cour d'Appel de Versailles vient de rendre un arrêt important en matière de rétrocession d'électricité, soit le fait pour un consommateur de revendre tout ou partie de l'électricité livrée.

Elle reconnaît le caractère d'ordre public du monopole de distribution d'électricité d'EDF et sanctionne par la nullité toute clause contraire à ce dispositif de direction économique.

Un audit général des baux commerciaux paraît nécessaire pour vérifier l'impact de cette décision, notamment pour des sites industriels où plusieurs entreprises se partagent la consommation d'électricité ou dans certaines galeries marchandes.

Les faits de l'espèce étaient simples : le bailleur était propriétaire d'un site industriel de plusieurs dizaines d'hectares à proximité immédiate de Versailles. En raison d'une restructuration de son outil de production, une partie significative du site se trouve en jachère. En 1999, il consent un bail commercial à un locataire. Le site était alimenté par un seul transformateur H.T. (haute tension) et l'électricité était « dispatchée » entre les différents secteurs par le bailleur.

Pour éviter des travaux importants, le bailleur impose à son locataire une rétrocession d'électricité, d'abord au forfait et ensuite à la consommation réelle. Pour cela, il refacture à son locataire la facture qu'il reçoit d'EDF. Mais il n'existe aucun contrat entre EDF et le locataire.

Le site ayant perdu pour le bailleur tout intérêt industriel, ce dernier décide de ne pas renouveler le contrat à l'échéance du bail commercial. Le bailleur souhaite présenter un terrain nu de toute occupation aux promoteurs intéressés par cette vaste étendue.

A l'occasion des contentieux qui se nouent entre eux, le locataire constate qu'il existe une « rétrocession d'énergie électrique » contraire au monopole d'EDF et réclame le remboursement de toutes les sommes payées depuis plus de 9 ans. Si l'enjeu économique est important, supérieur à 1,6 M€, l'enjeu juridique ne l'est pas moins car c'est la première fois à notre connaissance qu'une cour d'appel doit statuer sur une telle question.

La Cour d'Appel commence par affirmer une évidence : « La loi du 18 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz a institué au profit d'EDF un monopole de la distribution d'énergie électrique en France et ce monopole d'EDF sur la distribution d'énergie électrique en sa qualité de gestionnaire du réseau de distribution a été confirmé par la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ».

La Cour définit la rétrocession d'énergie électrique comme « toute fourniture d'énergie par un client à un tiers, que ce soit à titre gratuit ou onéreux, ce qui constitue donc une opération de distribution privée et est contraire au monopole de la distribution existant au profit d'EDF ». Au passage, la Cour relève que cette interdiction figure à l'article 24 du modèle du cahier des charges de concession, pour le service public du développement et de l'exploitation du réseau de distribution d'électricité et de la fourniture d'énergie électrique aux tarifs réglementés, et qu'elle est reprise dans les conditions générales du contrat EDF.

La Cour prend soin de préciser que « cette interdiction de rétrocession de l'énergie n'est pas au demeurant édictée au seul bénéfice d'EDF pour protéger son monopole, mais également au profit des tiers aux contrats passés entre EDF et ses clients, qui peuvent se voir priver, par le biais d'une rétrocession d'électricité prohibée figurant dans une convention les liant avec un des clients, de la faculté d'avoir un accès direct à la fourniture d'énergie à un tarif librement négocié avec EDF ».

Ainsi, à l'argument principal relatif à l'ordre public économique, vient se surajouter un argument de droit de la concurrence qui exige que tout consommateur final puisse librement négocier son tarif avec le distributeur d'énergie.

La Cour prend soin de constater que chacun des baux, conclu entre le bailleur et le locataire, contient une stipulation contractuelle par laquelle le locataire s'engage à payer l'électricité au bailleur et non à EDF. Cette clause constitue une rétrocession d'électricité prohibée. Pour la Cour d'Appel, « les clauses en cause sont donc illicites en ce qu'elles violent un texte d'ordre public économique instaurant le monopole de distribution d'EDF, en organisant la rétrocession par le bailleur au locataire de l'énergie électrique que lui fournit EDF ».

Elle en tire alors toutes les conséquences de droit en décidant que « la nullité des clauses contractuelles de rétrocession d'électricité emporte l'obligation, pour le bailleur, de rembourser les sommes payées par le locataire depuis l'origine ; la nullité prononcée suffit en outre à priver le bailleur du droit de poursuivre le paiement de sommes de ce chef sans qu'il y ait lieu de prononcer, au profit du locataire, une dispense d'avoir à payer des sommes qu'elle n'a pas réglées ».

Outre le caractère de précédent, cet arrêt présente l'avantage d'être amplement motivé. Compte tenu des sommes en jeu, il est probable que le bailleur tente sa chance devant la Cour de cassation.

En attendant, une révision générale des clauses contractuelles s'impose dans les locations de sites industriels ou dans la gestion des galeries marchandes.