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N'est pas edf qui veut...
Immobilier et logement
| Lu 24685 fois | 3 réactionsLa note ci-dessous est
reproduite avec l'aimable autorisation de son auteur, Me Christophe
LEGUEVAQUES, avocat au barreau de Paris, docteur en droit
C'est une première !
Le
19 juin 2012, la Cour d'Appel de Versailles vient de rendre un arrêt
important en matière de rétrocession d'électricité, soit le fait pour un
consommateur de revendre tout ou partie de l'électricité livrée.
Elle
reconnaît le caractère d'ordre public du monopole de distribution
d'électricité d'EDF et sanctionne par la nullité toute clause contraire Ã
ce dispositif de direction économique.
Un
audit général des baux commerciaux paraît nécessaire pour vérifier
l'impact de cette décision, notamment pour des sites industriels où
plusieurs entreprises se partagent la consommation d'électricité ou dans
certaines galeries marchandes.
Les
faits de l'espèce étaient simples : le bailleur était propriétaire d'un
site industriel de plusieurs dizaines d'hectares à proximité immédiate
de Versailles. En raison d'une restructuration de son outil de
production, une partie significative du site se trouve en jachère. En
1999, il consent un bail commercial à un locataire. Le site était
alimenté par un seul transformateur H.T. (haute tension) et
l'électricité était « dispatchée » entre les différents secteurs par le
bailleur.
Pour
éviter des travaux importants, le bailleur impose à son locataire une
rétrocession d'électricité, d'abord au forfait et ensuite à la
consommation réelle. Pour cela, il refacture à son locataire la facture
qu'il reçoit d'EDF. Mais il n'existe aucun contrat entre EDF et le
locataire.
Le
site ayant perdu pour le bailleur tout intérêt industriel, ce dernier
décide de ne pas renouveler le contrat à l'échéance du bail commercial.
Le bailleur souhaite présenter un terrain nu de toute occupation aux
promoteurs intéressés par cette vaste étendue.
A
l'occasion des contentieux qui se nouent entre eux, le locataire
constate qu'il existe une « rétrocession d'énergie électrique »
contraire au monopole d'EDF et réclame le remboursement de toutes les
sommes payées depuis plus de 9 ans. Si l'enjeu économique est important,
supérieur à 1,6 M€, l'enjeu juridique ne l'est pas moins car c'est la
première fois à notre connaissance qu'une cour d'appel doit statuer sur
une telle question.
La Cour d'Appel commence par affirmer une évidence : « La
loi du 18 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz a
institué au profit d'EDF un monopole de la distribution d'énergie
électrique en France et ce monopole d'EDF sur la distribution d'énergie
électrique en sa qualité de gestionnaire du réseau de distribution a été
confirmé par la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et
au développement du service public de l'électricité ».
La Cour définit la rétrocession d'énergie électrique comme «
toute fourniture d'énergie par un client à un tiers, que ce soit Ã
titre gratuit ou onéreux, ce qui constitue donc une opération de
distribution privée et est contraire au monopole de la distribution
existant au profit d'EDF ». Au passage, la Cour relève que
cette interdiction figure à l'article 24 du modèle du cahier des charges
de concession, pour le service public du développement et de
l'exploitation du réseau de distribution d'électricité et de la
fourniture d'énergie électrique aux tarifs réglementés, et qu'elle est
reprise dans les conditions générales du contrat EDF.
La Cour prend soin de préciser que « cette interdiction de rétrocession de l'énergie n'est pas au demeurant édictée au seul bénéfice d'EDF pour protéger son monopole, mais également au profit des tiers aux contrats passés entre EDF et ses clients, qui peuvent se voir priver, par le biais d'une rétrocession d'électricité prohibée figurant dans une convention les liant avec un des clients, de la faculté d'avoir un accès direct à la fourniture d'énergie à un tarif librement négocié avec EDF ».
Ainsi, Ã
l'argument principal relatif à l'ordre public économique, vient se
surajouter un argument de droit de la concurrence qui exige que tout
consommateur final puisse librement négocier son tarif avec le
distributeur d'énergie.
La
Cour prend soin de constater que chacun des baux, conclu entre le
bailleur et le locataire, contient une stipulation contractuelle par
laquelle le locataire s'engage à payer l'électricité au bailleur et non Ã
EDF. Cette clause constitue une rétrocession d'électricité prohibée.
Pour la Cour d'Appel, « les clauses en cause sont donc illicites
en ce qu'elles violent un texte d'ordre public économique instaurant le
monopole de distribution d'EDF, en organisant la rétrocession par le
bailleur au locataire de l'énergie électrique que lui fournit EDF ».
Elle en tire alors toutes les conséquences de droit en décidant que « la
nullité des clauses contractuelles de rétrocession d'électricité
emporte l'obligation, pour le bailleur, de rembourser les sommes payées
par le locataire depuis l'origine ; la nullité prononcée suffit en outre
à priver le bailleur du droit de poursuivre le paiement de sommes de ce
chef sans qu'il y ait lieu de prononcer, au profit du locataire, une
dispense d'avoir à payer des sommes qu'elle n'a pas réglées ».
Outre
le caractère de précédent, cet arrêt présente l'avantage d'être
amplement motivé. Compte tenu des sommes en jeu, il est probable que le
bailleur tente sa chance devant la Cour de cassation.
Et qu'en est-il des locations meublées y compris les cités universitaires où la fourniture d'électricité est incluse forfaitairement dans le bail ??? si l'on se réfère à ce jugement, les étudiants et ex-étudiants seraient en droit, eux aussi, de se faire rembourser leur consommation d'électricité !
Et même à la limite dans les hôtels où le prix forfaitaire des chambres inclut évidemment une part de consommation électrique...
Ce jugement pose un évident problème d'équité puisqu'il impose en fait la mise en place d'un compteur individuel pour chaque locataire, ce qui multiplie les frais d'installation et d'abonnement et empêche une utilisation commune d'un compteur qui pourrait être avantageuse pour tous.
Pour conserver un abonnement et un compteur unique, les usagers d'un site doté d'un transformateur commun, propriétaire et locataire(s) ne pourraient-ils, par exemple, s'organiser en un GIE, qui serait alors seul titulaire de l'abonnement, et prévoirait entre ses membres des clauses de répartition (forfaitaires ou réelles) de l'abonnement et des consommations ?
On attend avec intérêt la suite de cette affaire, Cassation, voire Cour Européenne...