Responsabilité médicale : Prise en charge tardive, condamnation systématique
Dans un arrêt rendu le 14 octobre 2010, la Cour de cassation s'est montrée intransigeante face aux praticiens médicaux. Elle a précisé qu'en matière de prise en charge tardive du patient entrainant son décès, la seule faute du médecin permettait de mettre en jeu sa responsabilité, sans qu'il soit nécessaire de démontrer la perte d'une chance de survie pour le patient.
En bref
Une patiente est décédée d’une grippe. Ses ayant-droit estimaient que sa prise en charge trop tardive l’avait privée d’une chance de survie.
Les juges du fond avaient retenu une faute du médecin, mais estimé que la preuve de la perte de chance de survie n’était pas rapportée, puisqu’il était très difficile d’affirmer que si son hospitalisation était intervenue plus tôt, l’évolution de sa pathologie aurait été différente.
Une faute du médecin mais pas de preuve de la perte d’une chance de survie, donc pas de condamnation pour les juges du fond.
La Cour de cassation a sanctionné cette position : dès lors que la faute du médecin est établie, sa responsabilité est engagée. Peu importe qu’il ait été démontré une perte d'une chance de survie pour le patient. Responsabilité pour faute sans préjudice donc pour les médecins.
Une décision sévère de la Cour de cassation qui ne permet plus au médecin fautif de rapporter la preuve qu’il n’y a pas eu de perte de chance de survie pour le patient. Dans la pratique, il est facile a posteriori de refaire l’histoire et de vouloir croire que la suite aurait été différente si la prise en charge avait été moins tardive…
L’arrêt
Vu l'article L1142-1 I du Code de la santé publique ;
Attendu que pour débouter les consorts X... de leur demande en responsabilité envers M. Y..., médecin, à la suite du décès de C.. X..., leur épouse et mère, des complications d'une grippe maligne contractée en décembre 2003, l'arrêt attaqué retient que si M. Y... lui avait délivré des soins consciencieux, attentifs et diligents, son hospitalisation serait intervenue plus tôt, mais qu'il était extrêmement difficile de dire si l'évolution de la pathologie eût été différente, que l'administration de l'antibiothérapie aurait été avancée mais qu'aucun élément médical ne permettait de dire que cela aurait évité la dégradation brutale de l'état de santé de C.. X... et son décès, dans la mesure où la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë dont elle était décédée n'avait pu être déterminée, de sorte qu'il n'était pas établi que la faute de M. Y... eût fait perdre à sa patiente une chance de survie ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que ni l'incertitude relative à l'évolution de la pathologie, ni l'indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë ayant entraîné le décès n'étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par M. Y..., laquelle avait eu pour effet de retarder la prise en charge de C.. X..., et la perte d'une chance de survie pour cette dernière, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 juin 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée
Décision de la Cour de cassation, Chambre civile, rendue le 14/10/2010, cassation.
Numéro de Pourvoi : 09-69195
Ce que dit la loi
L’article L. 1142- 1 du code de la santé publique, dispose que les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables issues d’actes de prévention, de diagnostic et de soins qu’en cas de faute.
Cet article énonce que :
I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.
II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.
Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret.