Est-il interdit de vapoter sa cigarette électronique au travail ?
Santé et organismes sociaux
| Lu 26293 fois | 0 réactionDepuis plusieurs mois déjà, le marché de la cigarette électronique est en pleine expansion. Chamboulant le commerce traditionnel du tabac et provoquant la gronde des buralistes, il apparait que la cigarette électronique est toujours considérée aujourd'hui comme un produit de consommation ordinaire.
Véritable sujet de société, elle a déjà séduit 1,5 million de consommateurs. Le marché est estimé à des centaines de millions d'euros. Pour certains, c'est une alternative sérieuse au tabac, qui permet au fumeur d'absorber sa dose régulière de nicotine sans les inconvénients d'odeur, de monoxyde de carbone et autres essences.
Mais alors que la mode prenait de l'ampleur, la cigarette électronique n'a pas tardé à s'infiltrer sur le lieu de travail des français. Ces derniers mois, les habitudes ont changé et il n'était pas rare de trouver dans les quotidiens un ou plusieurs articles prenant à témoin les salariés, qui avaient troqué leur "pause clope" pour rester devant leur écran en vapotant de temps en temps.
Mais que peut faire un employeur qui estimerait que cette pratique, dont aucune étude suffisante ne permet d'en connaître les effets sur le long terme, devrait être interdite au sein de son entreprise ?
Face a une réglementation encore inexistante, on est ainsi en droit de se poser la question : l'employeur peut il s'opposer à ce que ses salariés vapotent au bureau ?
L'Institut National de Recherche et de Sécurité publiait une note en mars 2013 "QR75 : Cigarette électronique peut-on l'utiliser dans un bureau ?" dans laquelle il mettait en avant les études des différents composés de la cigarette électronique et les expérimentations pratiquées. Les conclusions scientifiques n'étant pas encore suffisantes, celles de l'INRS portent plus sur les possibilités offertes aux employeurs pour l'interdire sur le lieu de travail.
En effet, le Code du travail impose à l'employeur une obligation de sécurité vis à vis de ses salariés, il doit "prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs" (article L 4121-1 du Code du travail). La Cour de cassation en 2002 avait érigé ce devoir en obligation de sécurité de résultat.
Ainsi, l'INRS préconise d'évaluer les risques relatifs à l'utilisation de la cigarette électronique, et d'assurer la protection de ses salariés eu égard à un produit dont les effets sont encore trop méconnus. L'interdiction pourrait être établie par la voie du règlement intérieur et donc à la seule décision de l'employeur.
Le Code du travail impose la mise en place d'un règlement intérieur lorsque le nombre de salarié dépasse 20, en dessous, c'est une simple faculté. Mais c'est donc, en l'état actuel, sur la prévention du risque découlant de l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur (article L 4121-2 et suivants du Code du travail), que l'interdiction de « vapoter » sur le lieu de travail pourrait s'appuyer.
Néanmoins, on peut être sûr que cette possibilité ne durera pas en l'état, la réglementation fait défaut et la justice ne manque pas d'être saisie pour donner son point de vue.
Il existe, certes, une interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif, sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs (article L 3511-7 du Code de la santé publique) mais cette disposition ne concerne que l'action de "fumer" et non de "vapoter", telle est l'argumentation des partisans de la cigarette électronique. Fumer n'étant pas vapoter, l'interdiction ne serait donc pas applicable.
Il aura fallu cependant peu de temps avant que la question de ce qu'est la cigarette électronique -produit du tabac ou non- n'arrive devant les tribunaux.
Sous couvert d'une action en concurrence déloyale, le Tribunal de commerce de Toulouse a rendu un jugement intéressant le 9 décembre 2013. Dans cette affaire, le demandeur (un buraliste) demandait au tribunal de condamner un revendeur de cigarettes électroniques parce que celui-ci vendait notamment des produits "en violation de la loi sur le monopole du tabac" faisant ainsi acte de concurrence déloyale à son encontre. Il faut savoir que les bureaux de tabac sont soumis à de lourdes obligations, notamment au regard de la collecte de l'impôt pour le compte de l'Etat.
Le tribunal, statuant à la demande des parties sur la qualification de la cigarette électronique, retient que la cigarette électronique "est naturellement" concernée par l'article L 3511-1 du Code de la santé publique qui dispose que "sont considérés comme produits du tabac les produits destinés à être fumés, prisés, mâchés ou sucés, dès lors qu'ils sont, même partiellement, constitués de tabac, ainsi que les produits destinés à être fumés même s'ils ne contiennent pas de tabac, à la seule exclusion des produits qui sont destinés à un usage médicamenteux". Ainsi, la e-cigarette se doit de faire partie des produits du tabac relevant du monopole d'Etat, et le défendeur s'est vu condamné.
Une procédure d'appel est toutefois en cours, si grâce n'est pas faite au revendeur, il est fort à parier que l'affaire ira jusqu'en Cassation.
Quant au gouvernement, la Ministre de la Santé, Marisol Touraine, s'est dite favorable à généraliser l'interdiction de la cigarette électronique, à la manière du tabac, dans les lieux publics. Un texte législatif dans ce sens marquerait la fin du doute entourant le vapotage, et l'interdiction de vapoter dans les salles de réunions et entre collègues de bureau, il serait présenté à l'automne 2014.
En l’espèce, l'Association des Grippés de France en Hiver se réjouit que les fumeurs reprennent le chemin des entrées d'immeubles.
Amaury CANTAIS