L’appréciation de l’état de besoin d’un parent qui a précédemment fait donation d’un bien immobilier à son enfant
Vie familiale
| Lu 8405 fois | 0 réactionL’état de besoin du parent bénéficiaire d’une pension alimentaire ne s’analyse pas à la lumière d’une donation faite antérieurement à ses enfants
Lorsqu’un enfant verse une pension à ses parents, celle-ci n’est déductible qu’à la condition que cette pension soit alimentaire, c'est-à-dire que les parents sont dans le besoin. A cet égard, le Conseil d’Etat précise que cet état de besoin doit s’apprécier sans égard pour la donation que le parent a pu faire à son enfant antérieurement, à l’exclusion des cas frauduleux. Autrement dit, le fait que le parent se soit volontairement privé de revenus fonciers en faisant donation sans contrepartie d’un bien immobilier à son enfant ne permet pas au juge de déduire que le parent n’est pas dans le besoin.
C’est la première fois que le Conseil d’Etat se prononce sur l’appréciation de l’état de besoin d’un parent qui s’est volontairement privé de revenus par une donation sans contrepartie. En l’espèce, la solution apparaît d’autant plus logique que la mère a fait donation à son fils de la nue-propriété de ses biens immobiliers tout en se réservant l’usufruit.
« Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire,
enregistrés les 3 octobre 2008 et 5 janvier 2009 au secrétariat du contentieux
du Conseil d'Etat, présentés pour M. François A, demeurant ... ; M. A demande
au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 3 juillet 2008 par lequel la cour
administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l'annulation du
jugement du 23 octobre 2007 du tribunal administratif de Dijon rejetant sa
demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu
auxquelles il a été assujetti au titre des années 2001, 2002 et 2003 et des
pénalités correspondantes ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code général des impôts et le livre des
procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Labrune, Auditeur,
- les observations de la SCP Delaporte, Briard,
Trichet, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Julien Boucher, rapporteur
public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP
Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. A ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier
soumis aux juges du fond que M. A a déduit de son revenu global au titre des
années 2001, 2002 et 2003 respectivement les sommes de 7 409 euros, 15 644
euros et 13 179 euros correspondant aux pensions alimentaires versées à sa mère
; que l'administration fiscale, estimant que l'état de besoin de la
bénéficiaire n'était pas établi et que ces sommes pouvaient en outre être la contrepartie
du logement de M. A chez sa mère, les a réintégrées dans le revenu imposable de
M. A ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres
moyens du pourvoi ;
Considérant qu'en vertu du 2° du II de l'article
156 du code général des impôts, sont seules déductibles pour la détermination
du revenu net imposable les pensions alimentaires " répondant aux
conditions fixées par les articles 205 à 211 du code civil " ; qu'aux
termes de l'article 205 du code civil : " Les enfants doivent des aliments
à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin " et
qu'aux termes de l'article 208 du même code : " Les aliments ne sont
accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame (...) "
; qu'il résulte de ces dispositions que les contribuables qui déduisent ou
demandent à déduire du montant global de leurs revenus, pour l'assiette de
l'impôt sur le revenu, les versements qu'ils ont fait à leurs parents privés de
ressources doivent justifier devant le juge de l'impôt de l'importance des aliments
dont le paiement a été rendu nécessaire par le défaut de ressources suffisantes
de leurs ascendants ; que, dans le cas où le créancier des aliments a
préalablement consenti une donation de biens immobiliers au profit du
contribuable débiteur des aliments, sans contrepartie explicite, le juge de
l'impôt n'est fondé à prendre en considération, pour apprécier l'état de besoin
des ascendants, les ressources dont ceux-ci se sont volontairement privés en
faisant cette donation qu'en cas de fraude à la loi ;
Considérant que si, pour apprécier l'état de
besoin de la mère de M. A, la cour administrative d'appel de Lyon a notamment
pris en considération, par adoption des motifs du jugement rendu en première
instance, la circonstance que l'intéressée avait fait don à son fils, sans
contrepartie, de la nue-propriété de deux immeubles ainsi que de bois et de
prés, elle n'a recherché ni si ces donations et les versements ultérieurs de
pensions alimentaires effectués par M. A révélaient une fraude à la loi ni si l'intéressée
était dans un état de besoin après ces donations ; qu'ainsi, M. A est fondé à
soutenir que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit et à
demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge
de l'Etat le versement à M. A de la somme de 3 500 euros en application des
dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 3 juillet 2008 de la cour
administrative d'appel de Lyon est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour
administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 500
euros à M. A en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de
justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. François A et à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement. »